samedi 1 mars 2014

Évaluation en Milieu de Travail

Du 10 au 15 février, j’effectue un stage d’observation afin de m’assurer que je suis prêt à travailler dans cette branche. Je me suis bien entendu informé sur les fonctions d’auxiliaire de vie, mais la réalité du métier est généralement pire que ce qu'ils veulent bien nous montrer dans leurs vidéos de présentation. Je veux voir ce qu'il en est de mes propres yeux.
Le lundi, je rejoins la tutrice qui va m’encadrer et on se rend chez les bénéficiaires. Malgré son apparence de sorcière malfaisante, la vieille femme est très sympathique. Elle m’explique que nous allons aider une famille dans l’entretien de son cadre de vie, que ce sont des personnes particulièrement démunies et qu'il faudra être patient avec eux. Nous nous rendons directement jusqu’à l’immeuble des bénéficiaires et montons au 6ème étage. Il n’y a pas d’ascendeur. Merde, je n'ai pas encore vu la tête des personnes chez qui nous allons, mais les déteste déjà !
La dame qui m’accompagne ouvre la porte du logement et se faufile à l'intérieur. J'hésite un instant à la suivre. Je trouve que c'est très intimidant de rentrer chez des inconnus. Dès l’instant où je franchis le seuil de l’appartement, je comprends que les deux heures à venir ne vont pas être des plus agréables. À l’intérieur ça sent le rat crevé. Je suis à deux doigts de défaillir. C’est comme si l’odeur s’était matérialisée en me voyant, et qu'elle venait de me foutre une grosse claque dans la gueule ! De son côté, le sol est tellement crade que mes chaussures risquent d’y rester accrochées à chaque pas. En relevant les yeux, je vois une multitude de cafards qui galopent autour de moi. Sur le sol ou sur les murs, il y a des masses noires qui apparaissent et disparaissent de derrière les meubles. Le père de famille reste toute la matinée le cul calé dans son fauteuil, à scruter les insectes qui courent au-dessus de sa tête. Ça semble le distraire, le pauvre vieux. Il a le regard tourné vers le néant. La joie de vivre s’est faite la malle depuis un bon bout de temps. On n’a pas idée de la profondeur de la misère sociale dans laquelle vivent ces personnes tant qu’on ne l’a pas vu de ses propres yeux ! La famille N. est composée d’un père, d’une mère et de trois enfants qui ont entre trente et quarante ans. Derrière une des portes, j’entends  un homme tousser avec une telle violence, qu’on le dirait prêt à dégueuler ses poumons. Lorsque le plus jeune des fils apparaît, ça me fait un choc. Il a environ trente ans, mais il semble en avoir plus de cinquante. Malgré son mètre quatre-vingt, je ne pense pas qu’il dépasse les soixante kilos. Il a les joues creuses, et avec son dos voûté il a l’air d’un vieillard à bout de force. Certaines portes sont réduites en lambeau et toute la vaisselle a volé en éclat depuis la dernière dispute des parents.
En une semaine, je découvre que derrière chaque porte d’entrée se cache un problème inédit. Je rencontre une grand-mère atteinte d’Alzheimer dont l’unique intérêt est de savoir qui va fermer ses volets. Je fais aussi la connaissance de Monsieur G., le bénéficiaire le plus âgé de l’association. Le vénérable grand-père approche les 106 ans. De voir ce morceau d’humanité réduit à l’inertie, ça me fend le cœur. L’homme reste allongé presque toute la journée, et attend bien docilement le moment de rendre son dernier souffle. En s’approchant, on découvre des mains si déformées, qu’elles en ont presque perdu toute leur humanité ! L’annulaire de la main droite est tellement gonflé qu’il est devenu gros comme deux pouces réunis. La vie est vraiment chienne quand elle s’y met !
Mais je réalise aussi à travers cette expérience, que tous ces hommes et ces femmes sont plus touchants qu’ils n’y paraissent à première vue. Il suffit souvent de tendre l’oreille pour les sortirent de leur misère. Ça parait con dit comme ça. Lorsque je plonge mes yeux dans les leurs, je la distingue à peine, cette lueur de vie qui vacille faiblement au fond de leur âme. Elle est toujours là. Ils ne l’ont pas encore totalement abandonné, et j’ai envie de leur crier qu’ils doivent s’y agrippez de toutes leurs forces. Je me demande pendant combien de temps un auxiliaire de vie peut rester patient et humain avec ces gens-là. C'est ingrat comme travail. Il faut vraiment aimé son prochain pour persévérer dans cette voie.

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