jeudi 27 mars 2014

La rentrée

La rentrée débute le 20 février au centre de formation. En arrivant j’ai la bonne surprise de voir que l’autre gars est présent lui aussi. Il s’appelle Fred. C’est un type de vingt-cinq ans environ qui parle du bout des lèvres comme un éternel amoureux. Ce qui marque aussi, ce sont ses lunettes de hipster qui, associées à son crâne rasé et son minuscule nez, lui donnent l'allure d’un extra-terrestre. La fille qui était avec moi le jour de l’épreuve orale est elle aussi présente. Dona. La peau noire et toute en relief à cause de l’acné. Sur son visage, ça ressemble drôlement aux montagne russe. On est une douzaine en tout.
La première remarque que je me fais durant cette journée, c’est que ça rappel vachement le collège : fourniture scolaire, feuille avec son nom sur la table, élection des délégués dans 4 semaines. La différence avec l’école, c’est que les enseignants fument leurs clopes à côté élèves.
On rentre très vite dans le vif du sujet en entamant le premier module : entretien du cadre de vie. Au programme : connaitre les détergents à utiliser en fonction de la surface, savoir utiliser un balai espagnol et bien mémoriser les consignes de sécurité. Dans ma tête j’entends résonner cette terrible rengaine :

Julien, 31 ans, futur femme de ménage

Au bout de quelques jours, les personnalités se dévoilent. Fini le passage où tout le monde est timide, gentil et content d’être dans une si formidable promotion. Très vite les premières tensions se font ressentir. En revanche, je suis agréablement surpris de découvrir que les autres candidats ne sont pas toutes des beaufs écervelées.
Sans perdre de temps, nous sommes conviés à nous lancer dans les recherches de stage. J’ai déjà préparé les lettres de motivation ainsi que les curricula vitae, il ne me reste plus qu’à faire le tour des associations et des EHPAD (Etablissements d’Hébergement pour les Personnes Âgées Dépendantes). Je m’arme de courage et je file de structure en structure dans l’espoir de trouver un stage.
Le premier établissement dans lequel je souhaite déposer ma candidature ne m’ouvre même pas la porte. Évincé par un interphone. Dur, dur ! S’ensuivent des conversations plus navrantes les unes que les autres, du type :
- Bonjour, je suis actuellement en formation pour devenir auxiliaire de vie social, et je recherche une structure pouvant m’accueillir en stage
- Pas chez nous (avec un air de dégoût dans la voix)... Mais on emploi
- Très bien. Dès que j’aurai fini ma formation je reviendrai vers vous
- On n’aura peut-être plus de besoin à ce moment-là (la femme semble être au bord du suicide)
- …, bien…, au revoir…

Je trouve finalement une maison de retraite prête à m’accepter en stage pour la partie "actes essentiels de la vie quotidienne" (aide à la toilette, prise des repas, aide aux déplacements). Une association peut me prendre dans la cadre du premier départ en stage. Mais rien qu’en regardant la directrice faire, je sais que ça va être un beau bordel ! Heureusement les autres périodes de stage s’effectueront dans la même structure que pour l’EMT.

samedi 1 mars 2014

Évaluation en Milieu de Travail

Du 10 au 15 février, j’effectue un stage d’observation afin de m’assurer que je suis prêt à travailler dans cette branche. Je me suis bien entendu informé sur les fonctions d’auxiliaire de vie, mais la réalité du métier est généralement pire que ce qu'ils veulent bien nous montrer dans leurs vidéos de présentation. Je veux voir ce qu'il en est de mes propres yeux.
Le lundi, je rejoins la tutrice qui va m’encadrer et on se rend chez les bénéficiaires. Malgré son apparence de sorcière malfaisante, la vieille femme est très sympathique. Elle m’explique que nous allons aider une famille dans l’entretien de son cadre de vie, que ce sont des personnes particulièrement démunies et qu'il faudra être patient avec eux. Nous nous rendons directement jusqu’à l’immeuble des bénéficiaires et montons au 6ème étage. Il n’y a pas d’ascendeur. Merde, je n'ai pas encore vu la tête des personnes chez qui nous allons, mais les déteste déjà !
La dame qui m’accompagne ouvre la porte du logement et se faufile à l'intérieur. J'hésite un instant à la suivre. Je trouve que c'est très intimidant de rentrer chez des inconnus. Dès l’instant où je franchis le seuil de l’appartement, je comprends que les deux heures à venir ne vont pas être des plus agréables. À l’intérieur ça sent le rat crevé. Je suis à deux doigts de défaillir. C’est comme si l’odeur s’était matérialisée en me voyant, et qu'elle venait de me foutre une grosse claque dans la gueule ! De son côté, le sol est tellement crade que mes chaussures risquent d’y rester accrochées à chaque pas. En relevant les yeux, je vois une multitude de cafards qui galopent autour de moi. Sur le sol ou sur les murs, il y a des masses noires qui apparaissent et disparaissent de derrière les meubles. Le père de famille reste toute la matinée le cul calé dans son fauteuil, à scruter les insectes qui courent au-dessus de sa tête. Ça semble le distraire, le pauvre vieux. Il a le regard tourné vers le néant. La joie de vivre s’est faite la malle depuis un bon bout de temps. On n’a pas idée de la profondeur de la misère sociale dans laquelle vivent ces personnes tant qu’on ne l’a pas vu de ses propres yeux ! La famille N. est composée d’un père, d’une mère et de trois enfants qui ont entre trente et quarante ans. Derrière une des portes, j’entends  un homme tousser avec une telle violence, qu’on le dirait prêt à dégueuler ses poumons. Lorsque le plus jeune des fils apparaît, ça me fait un choc. Il a environ trente ans, mais il semble en avoir plus de cinquante. Malgré son mètre quatre-vingt, je ne pense pas qu’il dépasse les soixante kilos. Il a les joues creuses, et avec son dos voûté il a l’air d’un vieillard à bout de force. Certaines portes sont réduites en lambeau et toute la vaisselle a volé en éclat depuis la dernière dispute des parents.
En une semaine, je découvre que derrière chaque porte d’entrée se cache un problème inédit. Je rencontre une grand-mère atteinte d’Alzheimer dont l’unique intérêt est de savoir qui va fermer ses volets. Je fais aussi la connaissance de Monsieur G., le bénéficiaire le plus âgé de l’association. Le vénérable grand-père approche les 106 ans. De voir ce morceau d’humanité réduit à l’inertie, ça me fend le cœur. L’homme reste allongé presque toute la journée, et attend bien docilement le moment de rendre son dernier souffle. En s’approchant, on découvre des mains si déformées, qu’elles en ont presque perdu toute leur humanité ! L’annulaire de la main droite est tellement gonflé qu’il est devenu gros comme deux pouces réunis. La vie est vraiment chienne quand elle s’y met !
Mais je réalise aussi à travers cette expérience, que tous ces hommes et ces femmes sont plus touchants qu’ils n’y paraissent à première vue. Il suffit souvent de tendre l’oreille pour les sortirent de leur misère. Ça parait con dit comme ça. Lorsque je plonge mes yeux dans les leurs, je la distingue à peine, cette lueur de vie qui vacille faiblement au fond de leur âme. Elle est toujours là. Ils ne l’ont pas encore totalement abandonné, et j’ai envie de leur crier qu’ils doivent s’y agrippez de toutes leurs forces. Je me demande pendant combien de temps un auxiliaire de vie peut rester patient et humain avec ces gens-là. C'est ingrat comme travail. Il faut vraiment aimé son prochain pour persévérer dans cette voie.

mardi 25 février 2014

Épreuve orale

Je reçois une convocation pour le 3 février à  dix heures vingt (pétantes). Je m’y rends. Arrivé cinq minutes à l’avance, on me prie de patienter sur le canapé. Une minute après, une fille arrive. Nous attendons tous les deux dans un silence de plomb. Une des formatrices nous encourage bientôt à la suivre jusqu’à une salle. La fille et moi prenons place autour d'une table. La femme nous distribue une feuille contenant trois questions :
-          Pourquoi voulez-vous devenir auxiliaire de vie ?
-          Pourquoi cette formation ?
-          Vos points forts et vos points faibles
Ces questions sont là pour nous aider à préparer notre entretien. La femme quitte la salle et referme la porte, nous replongeant l'autre candidate et moi dans un silence de mort. J’essaye de casser la glace avec la fille qui est assise à côté. Je n’aime pas trop préparer ma présentation à l'avance et savoir quelles sont les questions qui vont m’être posées, je lui dis. Ça manque de spontanéité. Elle ne pense pas, et replonge son pif dans la feuille encore immaculée qu'elle tient entre ses doigts.
Quand on nous appel, dix minutes plus tard, on nous conduit jusqu’à une porte. Ici ce sera Monsieur. Je rentre et trouve deux femmes qui m’enjoignent à m’assoir. Elles se présentent, la première assurera une partie de la formation, la seconde recrute pour une association d’aide à la personne. On me demande ensuite de me présenter. Je sors mon baratin habituel : parcours atypique (j’aime bien cette expression) ; expérience fort enrichissante dans le domaine associatif ; gout très prononcer pour l'aide à la personne. Ensuite viennent les questions : Vous êtes un homme (bien observé !), avez-vous conscience que ça peut être un obstacle pour ce métier. Blablabla… l’évolution des mentalités... la parité homme-femme... Blablabla...  Votre niveau d’étude sera bien plus élevé que celui des autres élèves. Blablabla-blablabla… Je saurai être un élément moteur pour le groupe. J'aiderai ceux qui seront en difficulté... Blablabla-blablabla... Je me défends tant bien que mal, mais au final je regrette de ne pas avoir trouvé LA réponse « édifiante » qui me distinguera des autres candidates. Un mauvais tour finit de me convaincre que je ne serai jamais pris pour cette formation. Au moment où je m’apprête à partir, les deux  bonnes femmes me demandent de remettre la feuille avec les trois questions citées ci-dessus. Ce n’était pas dans le contrat ça ! J’ai profité des questions pour tuer le temps en attendant qu'on vienne nous chercher. J'ai griffonné sur la feuille des réponses plutôt absurdes du genre : Mes points faibles ? Je ne me connais aucun point faible. Je n’ai que des axes d’amélioration.
Pour le reste, je ne me souviens plus du tout de mes réponses, mais j’aurais très bien pu écrire que je voulais devenir auxiliaire de vie par adoration pour les vieillards. Et à savoir pourquoi je souhaitais suivre cette formation en particulier, je me serais contenté de faire prévaloir qu’elle est entièrement financée par la région.
Je me retrouve dans la rue, plus incertain que jamais concernant l’avenir qui m’attend. Le jury me promet une réponse rapide, dans le courant de la semaine. Ne vous donnez pas cette peine Mesdames, j’ai envie de leur dire.

dimanche 16 février 2014

Épreuve écrite

Le jeudi 23 janvier, jour de l’épreuve écrite, je me rends dans la même salle que pour la réunion. Je me glisse discrètement entre les entre les différentes candidates et me cale tout au fond de la salle. Une vingtaine de minutes plus tard tout le monde est arrivé (ce qui ne représente plus que la moitié de ceux qui étaient présents à la journée d’information). La formatrice nous distribue alors le questionnaire, lequel comprend dix questions en rapport soit avec l’actualité, soit avec le métier d’AVS.
De l’autre côté de la salle j’aperçois que le second garçon est, lui aussi, présent. Il a enlevé son bonnet, découvrant un crane blanc comme un cul. Il a une attitude toute délicate et fluide qui dénote énormément de la brusquerie dont je fais preuve. Il est déjà tout concentré sur le questionnaire, le nez à deux centimètre de sa copie.
Première question : Que pensez-vous de l’interdiction du spectacle de Dieudonné (M’Bala M’Bala). La parenthèse doit être là pour ceux qui ne connaîtraient pas Dieudonné. Et là, je remercie intérieurement tous ceux qui ont éclaboussé leurs pages facebook en commentant les propos de l’humoriste ou en collant des liens vers l’actualité du nouveau démon dont se nourrissent goulûment tous les médias. Une petite voix dans ma tête me dit : Sois consensuel. Bonne idée. Je commence en me faisant le défenseur de la liberté d’expression, mais quelques phrases après je me débrouille pour exclure habilement Dieudo’ de ce « droit inaliénable ». J'évoque pour ce faire les propos antisémites et négationnistes dont on l'accuse. Je justifie alors l’exception Dieudo ‘ par le fait que la liberté doit se plier devant la loi. Du coup, s’il s’avère que les accusations contre l’humoriste sont justifiées, il est tout à fait normal de faire appliquer les lois. Voilà… Je ne me suis pas trop mouillé, mais j’ai réussi à noircir quelques lignes. Ça me donne beaucoup de confiance pour le reste du questionnaire. Deuxième demande sur l’affaire Hollande et l’intrusion dans sa vie privée (rapport évident à l’affaire Gayet). C’est encore plus facile. Distinction entre le devoir de transparence dont doit faire preuve le chef de l'Etat et le respect de la vie privée auquel Hollande à droit, au même titre que n'importe quel citoyen. Nelson Mandela est mort récemment. Que vous évoque ce personnage ? Un exemple dans la lutte contre le toutes formes de discriminations. Question suivante ? Au bout d’une quarantaine de minutes je demande une seconde copie double, ce qui provoque quelques chuchotements dans mon dos. Rien à foutre, je réponds aux deux dernières questions qui me sont posées et je me barre ! J’ai confiance en moi, mes réponses sont claires et mesurées. Il n’y a pas, ou très peu, de fautes d’orthographes.
Pourtant, même si je fais  preuve d'une incroyable assurance en sortant de la salle, il s'ensuit une période de doute. Est-ce que mes réponses étaient suffisamment claires ou au contraire mes phrases consistaient-elles en un assemblage hasardeux d’idées sans queue ni tête ? C'est con comme on peut parfois perdre confiance en soi !
Quatre jours plus tard, je reçois une convocation pour passer l'orale, j'ai donc bien réussi la première épreuve de sélection.

Journée d'information collective

Le 16 janvier 2014, je vais à la journée de renseignement pour la formation au métier d’auxiliaire de vie sociale (DEAVS).  Je me rends à cette réunion, la tête dans le cul de m’être levé trop tôt, mais avec tout de même l’espoir de trouver une porte de sortie à cette période de chômage qui n’en finit plus.
En rentrant dans la salle, la première chose qui me saute aux yeux c’est une absence totale d’homme. Je me retrouve plongé dans une pièce remplie uniquement de filles. J’étais prévenu qu’en tant que personne du sexe masculin j’allais être minoritaire, mais là je suis plutôt une exception ! Je suis aussi à ma place ici que John Rambo dans une réunion Tupperware ou Frank Ribery dans un institut de beauté.
La première idée qui me traverse la tête, c’est de tourner les talons et de m’enfuir au plus vite de ce lieu maudit avant qu’il ne me pousse un vagin. Cependant, malgré mon profond malaise, je décide de braver la gêne qui m’étreint et de me trouver une place pour m’asseoir. Le début de la réunion, qui devait démarrer à 10 heures pétantes, est décalée d’un quart d’heure pour laisser le temps aux retardataires de venir. Dans mon coin je ne suis pas fier. Heureusement, les autres candidates ne discutent pas trop entre elles, mon sentiment d’isolement s’arrête donc à ma nature d’homme.
A 10 heures et 10 minutes, je vois un second garçon passer le seuil de la porte. Ouf ! Je ne suis plus le seul « gars » à m’intéresser à cette formation, je me dis. Que nenni ! Il vient simplement conduire sa compagne. La formatrice en charge de cette réunion d’information demande à ceux qui ont garé leur voiture dans le parking résidentiel juste à côté, de bien vouloir déplacer leur véhicule. Les voisins sont très jaloux concernant leurs emplacements et ils n’hésitent pas à crever les pneus de ceux qui leur font l’affront de se mettre à leur place ! Comme une grosse partie des filles présentes à la réunion, ma voiture est garée dans la zone résidentielle. Le fait de devoir me lever et de passer entre les tables me rend encore plus mal à l’aise. Tout ceci est bien évidemment dans ma tête, je le sais, mais n’empêche que j’ai l’impression de sentir sur moi le sourire narquois de toutes ces dames.
En retournant dans la salle, j’ai l’agréable surprise de voir qu’il y a un autre garçon. Je me glisse à nouveau tout au fond de la salle pour assister à la réunion. La formatrice nous lance un film de présentation dans lequel une auxiliaire de vie  explique son métier. Le vieillard dont elle s’occupe ne cesse de demander « et qu’est-ce qu’on mange ce soir ? » A chaque fois que le vieux lance sa sempiternelle question, toute la salle se marre. L’Alzheimer du vieillard a un pouvoir comique bien plus fort que « le plus grand comique actuel » : Dieudonné. Plus le vieux lance son leitmotiv, plus c’est rigolo.
S’ensuit un débat interminable durant lequel la formatrice demande à la salle de lui donner les avantages et les inconvénients du travail. J’entends « Il faut être mobile. » « Et c’est un avantage ou un inconvénient ? » « Ahahaha ! Piégé. » « Le souci principal, c’est la précarité. » « La quoi !? Vas-y, parle-moi français ! » Certaines personnes se montrent légèrement susceptibles.
A la fin de la réunion, il faut remplir un dossier pour ensuite être convoqué aux épreuves de sélection écrites et orales. Je récupère le dossier, ça n'engage à rien, et le remplit avant de quitter la salle.